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            Que l’Afrique traverse aujourd’hui l’une des périodes les plus sombres de son histoire, tout le monde le sait. L’extension de la misère, de la faim, de la maladie et des guerres est l’expression de la situation désastreuse que traverse le continent noir. Ce marasme, qu’on nomme couramment sous-développement, n’est spécifique à tel ou tel aspect de la vie. Il est une crise générale qui met en branle la quasi-totalité des paramètres de la vie sociale et de l’existence de l’homme. Qui pis est, le problème du sous-développement de l’Afrique est d’autant plus inquiétant que, quand bien même les spécialistes s’emploient à le résoudre, l’Afrique ne fait que s’enfoncer davantage. « Pour refaire l’Afrique… par où commencer ? »[1] Pourrait-on opportunément s’interroger.

               Mais soyons clairs. On n’est pas là pour refaire l’Afrique. Ce qui importe avant même de penser à une quelconque réfection, ce sont les causes. Pour ce qui est donc des causes du sous-développement de l’Afrique, où il est question de trouver les principaux responsables de cette situation, d’aucuns, notamment les géologues, pensent que cette situation est due aux obstacles naturels que constituent son climat et son relief, obstacles qui ont longtemps tenu l’Afrique isolée des autres continents. A cause de son climat aride, on a cru que l’intérieur du continent était inhabité. Mais depuis des siècles, l’Afrique a cessé d’être une « terre hostile » pour devenir une « terre hospitalière » à l’égard de ceux-là même qui redoutaient son climat et sa faune. Pourquoi alors cette ouverture a-t-elle laissé stationnaire et sédentaire le développement tant escompté de l’Afrique ?

               Pour Jean-Paul Sartre, philosophe français et grande figure de l’existentialisme, « l’enfer c’est les autres ». De manière récurrente, voire obsessionnelle, cette idée est reprise en Afrique par les intellectuels, et souvent appliquée contre les politiques importées sur leur continent. La pauvreté et le retard dans le processus de développement seraient, selon eux, justifiés par des tentatives successives de « greffes » politiques forcées. On sait que l’Afrique a connu des sombres périodes de traite et d’esclavages, cédant ainsi son destin à d’autres… Et en 1972, l'historien Walter Rodney a consacré 298 pages à démontrer comment l'Europe a été à l’origine du sous-développement de l’Afrique[2]. Il a fait un magnifique travail pour expliquer comment le commerce des esclaves, le colonialisme, le néo-colonialisme de l'Afrique et les politiques importées, par l'Europe et d'autres impérialistes occidentaux, ont volé à l’Afrique son développement.

              Mais, quel est ce passé qui ne passe pas ! Pour nous, ce passé doit passer et être simplement relégué aux oubliettes. Parlons peu et parlons vrai, le passé est passé. Actuellement, les Africains sont les principaux responsables du sous-développement de leur continent. La traite négrière et le colonialisme appartiennent au passé. Notons d’ailleurs que ces fléaux ne sont pas spécifiques à l’Afrique. Ils ont touché d’autres régions du monde dont l’Amérique latine, l’Amérique du Nord et l’Asie. Peut-on comparer ces régions avec l'Afrique aujourd’hui ? Des pays comme l'Inde, la Malaisie, le Mexique, le Brésil, le Singapour et bien d’autres encore blâment-ils toujours les Européens pour leur passé malheureux ou se sont-ils eux-mêmes transformés en puissances économiques et politiques[3] ? « Faire sauter le monde colonial est désormais une image d'action très claire, très compréhensible et pouvant être reprise par chacun des individus constituant le peuple colonisé »[4]. Le Brésil l’a si bien fait qu’il est aujourd'hui la septième puissance économique mondiale, 37 places devant leur ancien maître colonial le Portugal qui est 44ème.

             Dans l'histoire du monde, chaque civilisation comme chaque pays ont connu des hauts et des bas. L'Europe a rebondi après les deux guerres mondiales, les États-Unis suite à la guerre civile et au racisme, l’Asie et l’Amérique latine après le colonialisme, les dictatures et les troubles politiques. Pourquoi l'Afrique ne se remettrait-t-elle pas de la traite négrière et du colonialisme ? À l'heure actuelle, il est évident que l'Afrique est le continent le moins avancé du monde. La région souffre de toutes sortes de problèmes dont 90% sont d’origine humaine. Naturellement, la région semble être la plus chanceuse, parce que c'est l’un des continents les plus stables géographiquement enregistrant le moins de catastrophes naturelles. La plupart des pays de la région n'ont pas le climat insupportable que l’on trouve dans les régions polaires extrêmement froides ou dans les régions arabes extrêmement chaudes. Par ailleurs, l'Afrique est le principal fournisseur mondial de matières premières. Plutôt que de transformer et valoriser ses matières premières, l'Afrique les exporte vers des pays qui vont les transformer et les lui revendre ensuite sous forme de produits finis à des prix exorbitants. Près de 10 % des réserves connues de pétrole dans le monde sont en Afrique.

          Au regard de ce tableau assez ténébreux, on peut sans risque de se tromper, dire que le principal problème du sous-développement de l'Afrique est le leadership. La plupart des dirigeants africains passés et présents ont fait échouer lamentablement la région. Leur obsession de rester au pouvoir a rendu très difficile voire impossible leur remplacement. Des décennies de gouvernance politique et économique défectueuse, et l'incapacité des gouvernements post-indépendance de tenir les promesses de l'indépendance ont généré la désillusion et conduit à des attentes insatisfaites, ouvrant la voie à la dictature, la disparition de l’état de droit, les conflits ethniques, et le chaos économique et social. Plus de 85 % des élections en Afrique – quand il y a en a même - ne sont pas libres, justes et crédibles. Les dirigeants africains volent des milliards de francs de fonds publics pour les investir dans les économies européennes. Combien de dirigeants d'autres continents volent les fonds publics pour les investir en Afrique?

L’autre problème de l’Afrique est l’incapacité de ses citoyens à se reconnaître mutuellement comme des frères naturels ne serait-ce que parce qu’ils sont tous des êtres humains. Il est même difficile de trouver un seul pays africain exempt de crises religieuse et ethnique. Chaque année, des milliers de vies et de propriétés sont perdues en Afrique au nom des différences religieuse et ethnique. Il y a 20 ans, au Rwanda[5], on estime à plus de 800.000 les personnes qui ont été tuées juste du fait de leur appartenance ethnique. On n’a pas oublié la politique de « l’ivoirité » qui fait tuer les gens en Cote d’Ivoire. On connait ce que veut Boko Haram au Nigeria. Actuellement en République centrafricaine, les gens sont massacrés par centaines en raison de leurs croyances. Et depuis l’apparition de l’ouvrage de Pierre PEAN sur Ali BONGO et le Gabon, on parle de plus en plus de « gabonité ».

            Par ailleurs, quand nous observons les très rares pays africains qui prétendent améliorer leur taux de croissance économique, nous constatons que leurs citoyens demeurent toujours dans la souffrance profonde, comme si l'augmentation de la croissance économique nationale était proportionnelle à celle de la pauvreté et de la souffrance[6]. Le développement de ces pays africains est ironique dans le sens où il n’est pas inclusif. Il s’agit plutôt d’une évolution qui accroît la souffrance du peuple, qui rend les pauvres plus pauvres et les riches plus riches, du champagne de qualité pour quelques-uns – allez voir les prix – au lieu de l’eau – même de mauvaise qualité – pour tous. Nous on savait jusqu’ici que le riche est dépensier et le pauvre économe. Extravagance !

              Mais en dépit de ces problèmes et de ces ennuis dont les africains eux-mêmes sont les principaux responsables, l'Afrique a encore une chance de se développer. En tout cas nous, nous y croyons et croyons qu’il n’y a pas de raison de ne pas y croire. Car, les ressources, la main-d’œuvre et autres atouts sont là. Ce qui fait défaut ce sont la volonté politique et la détermination. Que tous les Africains mettent la main à la pâte pour s'assurer que la région sorte de ce pétrin et trouve sa véritable place sur la carte de développement mondiale. « Chacun peut trouver en soi le pouvoir de se détacher de tout, sans distinction, et de se déterminer par lui-même, le pouvoir de se donner à lui-même un contenu par soi-même, quel qu’il soit. ».[7] Ceci ne sera possible que si le continent accepte de quitter son statut de victime pour passer enfin à l’action. Ce n’est que dans ce sens que le XXIe siècle pourrait être celui de l’Afrique un peu comme le XXe siècle a été celui de l’Europe.

 

 

 

[1] Ouvrage d’Arona MOREAU, Paris, L’Harmattan, Collection « pensée africaine », 2008

[2] Walter RODNEY, Et l’Europe sous-developpa l’Afrique : analyse historique et politique du sous-développement, Paris, Editions L’Harmattan, 1972, 298 pages.

[3] N’est-ce pas là tout le sens de la dialectique hégélienne du maitre et de l’esclave ?

[4] Frantz FANON, Les damnés de la terre, p.10

[5] Le génocide rwandais des années 96.

[6] Nigéria, …

[7] Hegel, Principes de la philosophie du droit, P.71

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